Cinq

Et si tout commençait par une note ? Le silence. Un grain de sable qui glissait entre les doigts. Rien. Paisiblement installée, tout allait pour le mieux. Aujourd’hui, c’était programme détente. Ainsi, après une grasse mat’ bien méritée, elle descendit tranquillement prendre son petit déjeuner. La cuisine fraîchement rénovée par ses parents donnait envie de s’attarder autour de la table pour y savourer de délicieuses viennoiseries. Quel bonheur ces rayons de soleil qui caressaient sa peau déjà légèrement teintée. Elle se laissait porter. Après cette brève traînardise, elle partit donc pour la plage où elle pouvait profiter de la population de maîtres-nageurs tout juste débarqués du nord du pays. Qui sait, elle en mettrait peut-être un dans son lit dès ce soir. Non, plutôt demain. Il lui fallait éradiquer encore quelques poils avant de pouvoir accueillir quelqu’un dans son nid douillet.

Toujours est-il qu’elle savourait encore et encore ces instants de détente lorsqu’une goutte de pluie vint troubler sa quiétude. Grincheuse, elle traîna la patte pour rentrer. Sans rire ! Du mauvais temps ? Depuis quand est-ce qu’on a ça dans le Sud ? Enfin, elle se poserait sur le canapé plutôt que sur un transat.

Ting !

Comment ? Elle se redressa, inquiète. D’où venait ce bruit ?

  • Il y a quelqu’un ?

Rien. Pas de réponse. Elle s’enroula de plus belle dans son plaid.

Ting !

De nouveau, elle se dressa sur ses coudes. D’où venait donc ce son ? Elle parcourut rapidement le salon du regard mais nulle présence. Qui osait ?

Elle sombrait peu à peu. Les rêves l’assaillaient par bribes. De-ci, de-là, elle partait en balade. Elle rencontrait des mini-croissants, des plantes à feuilles bleues, des enfants à monter au dernier étage d’une tour, du n’importe quoi en tube de chocolat et des petits lutins verts de Noël. Oh, une fée. Une fée ? Que venait-elle faire ici ?

Ting !

  • Ah mais ça suffit ! Qui est-ce à la fin ?

Un petit rire surgit du fond du couloir.

  • Qui est là ?

Elle s’empourpra et s’emporta. C’est alors qu’une petite tête toute mignonne sortit de derrière le canapé. Un cri de surprise s’échappa de sa bouche en découvrant une dame courte sur pattes. Et par courte, il faut comprendre raccourcie. Bon, pour compenser la nature l’avait dotée de magnifiques ailes. Peut-être pas tout à fait alignées, quelques bugs dans la matrice étaient inévitables, mais au moins elle pouvait se déplacer sans avoir besoin d’un larbin pour pousser ses roulettes. Ce qu’elle aurait sans doute eu, si d’ailes elle n’était pourvue.

Plus la jeune fille découvrait de particularités sur ce petit corps virevoltant plus sa bouche grandissait. Elle atteignit cependant rapidement les limites de ses capacités d’ouverture. Sans doute de vieux restes de cette chute ridicule dans les couloirs de l’Université. Nette et brève, ses genoux étaient entrés en collision avec le sol. Le coup de foudre avait été immédiat mais les déflagrations qui avaient rebondi sur son corps avaient rendu sa mâchoire un brin capricieuse. Quatre mois de blocage quand même. L’attirance sol-genoux avait eu un dommage collatéral conséquent. Enfin, tout ça pour dire que son ébahissement se transformait peu à peu en grimace de douleur.

Ainsi, la fée amochée voltigeait, toute souriante.

  • Qui êtes-vous ? parvint-elle à articuler.
  • Je suis Pasta Fée-riste.

Remarquant l’incrédulité de son interlocutrice, l’éclopée poursuivit.

  • Je lis l’avenir dans la soupe alphabet et je te tire les raviolis pour te donner ton horoscope. Je suis la tagliatelle de la parole du maître.

Toujours aucune réaction.

  • Allez ma grande ! Le pastafarisme, c’est connu tout de même ! Bon, tant pis. Je suis là pour te guider mon enfant. L’eau du bain dans lequel tu cuis depuis tant d’années s’est totalement évaporée. Il est temps de te saucer et de te lancer.
  • Eh beh, je me rappelais pas d’avoir tapé dans la beuh de mon frangin avant de pioncer, se dit-elle à elle-même. J’en ai décidément trop pris. Déjà que mes rêves sont perchés en temps normal…
  • Mais non, mais non, la coupa la fée. Tu n’as rien pris du tout. Je ne suis pas dans ta tête. Tu es réveillée et je suis bien en face de toi. Regarde.

Elle s’approcha d’elle et lui pinça le bras. La victime manqua de lui retourner un coup de poing en plein visage pour riposter. Elle se ravisa avant d’atteindre le bout de son nez. À noter qu’au vu de son inclinaison, il avait très certainement déjà reçu quelques coups par le passé.

  • Aïe ! Mais tu sors d’où sérieux ?
  • Ah, si tu savais ! Comme rapide historique je me contenterais de te dire que je suis issue d’un croisement entre un sac de nœuds, une buse et un feu d’artifice. Ce qui explique mon pet au casque.

L’autre acquiesça pour lui faire plaisir. Elle se demandait toujours d’où venait cet énergumène qui n’avait décidément rien de… normal.

  • Ma mission, si toutefois vous l’acceptez – petit temps de pause – quoi que non en fait, tu n’as pas le choix. Donc, ma mission, disais-je, est de te réveiller. Ta flemmingite aigüe insupporte mes journées. Tu pollues mon écran de veille. Comment fais-tu pour mettre autant de lenteur dans tout ce que tu entreprends ? Non mais sans rire ! Mon détecteur de mollesse ne cesse de clignoter à ton approche. Il suffit que ce soit ton heure de passage pour que tous les signaux se déchaînent. Une véritable tempête de sonnettes. Même en veille te dis-je ! L’écran sait !
  • Mon heure d’écoute ?
  • Ah non mais tu n’as vraiment rien écouté en cours ! C’est incroyable. Je vais devoir me farcir ton éducation. Tu te souviens quand même de la hiérarchie ? La chaîne alimentaire, tout ça ?

Aucune réaction.

  • Bon bah en gros, tu sers à divertir les plus riches qui s’ennuient tellement de ne savoir que faire qu’ils regardent vivre les gens normaux comme toi.

Nouvel acquiescement désuet de toute compréhension accompagné d’un léger coup d’œil en l’air.

  • Le problème c’est que si tu ennuies autant les spectateurs qu’eux s’ennuient déjà tous seuls, ils changent de programme. Nous perdons donc de l’audience, le boss râle et il finit par nous transformer en beefsteak pour apaiser ses nerfs.

L’élève baissa les yeux sur le petit corps toujours flottant dans les airs.

  • Oui, voilà, tu as compris que son mécontentement s’est attaqué à mes membres inférieurs. Ainsi, je dois parvenir à faire quelque chose de toi ou c’est un autre répondant qui prendra la suite des opérations. Alors, prête ?
  • À quoi ?

L’élève s’effrayait à l’idée de devoir sortir de ce doux duvet qui recouvrait ses pieds et qui maintenait sa température ambiante. Elle préférait l’idée que tout ceci n’était qu’un rêve affreusement tordu.

  • Bah, à te bouger. Ça fait deux jours que tu es en vacances. C’est insupportable de voir à quelle vitesse tu t’es ramollie. Alors sors de ce canapé, va courir cinq kilomètres, reviens prendre un bouquin et lis-le ! Tu auras cinquante minutes pour le lire et en faire une fiche de lecture. Après, ça sera jardinage et retouches photos.
  • Mais il est 5h du mat !! s’étouffa l’élève.
  • Parfait ! Tu as la journée devant toi !
  • J’ai même un bout de nuit en rabe là, grommela-t-elle. Quel privilège !

Faisant fi de ne rien entendre, la fée matérialisa une tenue de sport sur la table basse du salon. La jeune fille se couvrit la tête de son plaid. Il était hors de question qu’elle sorte courir à cette heure-ci. C’était l’heure de dormir.

  • Ah, tu veux jouer à ça ?

D’un coup de spaghetti cru, la fée cogna la tête de la rebelle. C’est alors qu’une crise d’éternuements incroyables la foudroya. Son nez coulait en flux continu sans rien demander à personne et ses yeux brûlaient.

  • Bon, bon ! Ça va. J’ai compris. Je me lève.
  • Bien ! Allez, en selle !

Tout en rechignant, elle enfila sa tenue et partit dans la fraîcheur de l’aube. Rien de tel pour raffermir la peau.

*****

De la sueur. De la sueur et encore de la sueur. Cela faisait déjà deux jours que cette folle pastafariste avait débarqué chez elle. Adieu canap, adieu plage. Elle courait dans tous les sens, bossait, se cultivait. Aucun répit. Apparemment, il lui faudrait tenir encore trois jours avant d’être libérée. Elle sentait déjà ses limites. Les courbatures se faisaient de plus en plus insoutenables. Comment allait-elle s’en sortir ? Elle verrait bien. Pour le moment, il lui fallait avaler un jus à base de cinq fruits et légumes pour disposer de son quota journalier de vitamines. Elle hésitait quant aux composants. Du vert, une touche de rose, un filet d’orange… Hmm…Une fois cette horreur engloutie, elle serait prête pour son entraînement de kick-boxing. Sans rire ! Comme si cela lui serait utile pour aller à la plage. Elle commençait à saturer. Au moins avait-elle trouvé le moyen de s’éclipser dans son hamac, sous les grands pins du jardin, dès lors que la fée s’endormait. Elle se débrouillait pour toujours atteindre son lit de fakir, pics dressés en stalagmites, avant son réveil afin d’être sûre de ne pas subir de châtiments physiques. Et c’était reparti pour des heures d’exercices en tout genre ; mathématique, gestion, fresque historique, lecture, rédaction… tout s’enchaînait.

*****

Tout compte fait, le cinquième jour arriva. Malheureusement, les nouveaux coussins qu’elle avait menés dans son hamac avaient eu raison d’elle. Elle ne s’était pas réveillée à temps. La Pasta Fée-riste avait donc eu une réaction particulièrement exécrable en la découvrant dans son nid douillet. Elle prit cependant sur elle. Elle passa également, au cours de la journée, sur son dépassement d’une minute trente pour enfiler son armure de combat contre les dragons de la plaine. Elle laissa par la suite couler les effluves de son énervement quant à l’attachement de la jeune fille à regarder jusqu’à la dernière seconde la bête qui se consumait dans ses propres flammes. Le brasier l’avait totalement hypnotisée. Bonne excuse pour ne rien faire. La fée commença toutefois à craquer lorsque l’élève demanda une pause pipi alors qu’elles escaladaient la falaise. Enfin qu’elle. La fée volait simplement à côté avec le chronomètre. Elle ne pouvait aisément pas monter à l’aide d’une seule main. Logique. Ce qui fit finalement déborder le vase fut l’écroulement de la demoiselle  sur la pelouse du jardin en rentrant. Elle s’était roulée en boule et caressait le sol duveteux et confortable. Elle fermait les yeux de plaisir. La fraîcheur apaisait ses membres endoloris. Ç’en était trop pour la fée. Gardant son calme et sa sérénité, elle obtempéra. Puisque son élève se reposait dans le jardin, qu’il en soit ainsi. Elle la transforma en nain de jardin. Même si en rentrant elle se faisait croquer un bras, elle aurait au moins la satisfaction d’avoir rempli son contrat. La fille était devenue utile à la distraction de chacun. Le voisin adorait jouer au bowling. Particularité des quilles ? Devinez… Allez, une petite aide. Elles ressemblent drôlement à de petites créatures souvent couvertes d’un bonnet rouge. Ceux de Blanche-Neige, bien que sept, en ont de cinq couleurs différentes. Alors ? Vous trouvez ?

Au moins les riches auront ce qu’ils désiraient. Du divertissement.

Célia B.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s