Rugissante à mes pieds, cette ville hurlante et criarde hisse ses fracas jusqu’aux fenêtres de mon appartement. C’est alors que cette voix me parvient. Cette voix familière et assassine qui hante mes nuits. Elle est là, si proche, et me semble si réelle… Et pourtant… pourtant c’est impossible. Il est parti. Serait-ce un rêve ? Je ne pense pas. Hélas au plus profond de moi, sous cette carapace étanche qui s’étend tout autour de moi, se trouve cette petite fille, seule et démunie. Cette petite fille que l’on a oubliée sur le bas-côté sans prendre le temps de lui expliquer que tout était terminé. Ne souhaitant pas montrer sa déception, elle se renferme, encore et encore. Ce schéma n’a de cesse de se répéter. Elle se cache, fuit, ne daignant pas admettre qu’il ne reviendra pas.
Aujourd’hui est un grand jour, mais hélas, tu n’es plus là pour en profiter avec moi. Tu n’es plus là pour constater les progrès que j’ai fait, plus là pour remarquer la personne que je suis devenue.
Mais cette voix que j’entends et qui n’a de cesse de tinter dans ma tête, pourquoi me poursuit-elle tant ?
Tout ce sur quoi j’étais fondée s’est écroulé, mais à jamais tu restes ancré. Je suis tellement perdue. Et ce brouhaha ne m’aide vraiment pas. Si seulement nous étions préparés à cela…
Je me pensais guérie mais de toute évidence, ce n’est pas le cas. Je t’en supplie, ne m’en veux pas, car loin de toi, mes repères se dissipent. Cette idée d’abandon qui me poursuit depuis ce temps-là viendra à bout de moi si je ne parviens pas à trouver substitution à ta personne. Mais dans le fond, en ais-je réellement envie ?
Je sens ma boite crânienne qui émulsionne, mes larmes qui coulent et mes mains qui cherchent désespérément quelque chose à quoi se rattraper. Un parfum exquis m’attire près de la fenêtre. Je me penche et fixe la rue peuplée de monde. Coup d’éclat ! Je le vois, planté là, qui me sourit. Agitant la main, il me fait signe de descendre. À bout de souffle, je cours en direction de la porte d’entrée. Elle est bloquée, je n’ai plus aucun moyen d’accéder à cette foule. Je reviens sur mes pas et découvre qu’il a de nouveau disparu.
La nuit venue, son ombre m’engloutit, me plongeant ainsi dans ses plus sombres recoins. Un sursaut, un murmure et me voilà partie pour l’immensité. Cette fois-ci, la porte s’entrebâille. Je me laisse porter.
Me trouvant désormais devant sa nouvelle demeure, je vacille. Quelques gouttes salées sur le sol, une grande inspiration puis le vertige. Sensation étrange de déjà-vu. Un passant me sourit et dit « Bien le bonsoir mademoiselle, sachez très chère que les oiseaux s’en vont lorsqu’une tempête les menace, les hommes, eux, préfèrent se terrer ». Je n’ai pas tout de suite saisi le sens de sa phrase et sans me retourner, je suis rentrée.
Les jours passent, les informations fusent. C’est alors qu’accoudée à la fenêtre je la sens trembler. La terre gronde et s’ouvre. Les hommes s’y engouffrent sans prendre le temps de se dire adieu. S’en suivent les cris et les pleurs des proches, abattus et en colère. Puis plus rien. Nul coup de téléphone pour savoir si je vais bien, si j’ai survécu, rien. Personne. C’est alors que cette douleur que j’avais su taire durant ces dernières semaines me reprend et ce, avec beaucoup plus de puissance. Je ne sais dire si elle provient de ma tête ou si elle est bien réelle. Elle me déchire l’abdomen et m’oblige à tomber à genoux. J’implore. Je m’évanouie. Dans ces moments-là, mon esprit vagabonde et me transporte souvent dans la crypte du village.
Quelques heures plus tard, le réveil, brutal et énergique. La nuit est tombée. Je sors enfin.
La crypte se trouve à présent face à moi. Je dois en avoir le cœur net. Je tente d’entrer mais la porte est bien trop lourde pour moi. J’abandonne, me tourne pour partir lorsque j’entends les crissements de ses gonds. Intriguée, j’entre.
Un corps pend au bout d’une corde. Plutôt jeune, cette fille a les cheveux collés sur le visage. Aucune expression, juste une envie subite d’en finir.
Une sorte de flash m’éblouit alors. La tête chevelue s’incline légèrement vers moi, les yeux vidés et le visage glacé. « Tu ne te souviens pas ? » sarcasme-t-elle. C’est alors que mes souvenirs rejaillissent et que tout s’éclaire. Cette souffrance, ces gens qui ne s’inquiètent pas pour moi, cette sensation de vide en moi, c’était donc cela… Je n’étais plus de ce monde-là.
Célia B.